ORGANISATION SOCIÉTALE DANS LES CHEFFERIES
A l’image de son Dieu (Ñambe-Kwa-Dibenga), de sa micro-structure familiale (Ndabo ou Case du Chef de Famille + 2 Myebe ou Foyers), et de sa macro-structure ethnique dite Masoso ma Ñambe (les Basa, les Bakoko et les enfants de Mbongo communement appelés les Sawa),
la Chefferie traditionnelle de la Côte camerounaise est fondée sur un socle tripolaire symboliquement baptisé « Masoso », ou Trois Pierres constitutives du Foyer propre à chacune de ses cuisines. Le Chef, première Pierre, est entouré, au premier degré, d’une double Chambre, respectivement de Notables et de Beyum ba Bato (Sages), deuxième et troisième Pierres du premier Triangle, désignées l’une par la naissance (Etoti) et l’autre par son utilité sociale particulière (Ebuka), et tous deux représentant symboliquement les dimensions corporelle (Maya, le Sang) et spirituelle (Edi) de la Communauté. Au deuxième degré, le Chef coiffera en un deuxième Triangle élargi la double Chambre représentative d’une part, et d’autre part le Peuple représenté lui-même, à savoir le Mwanja.
De son côté, la dévolution du trône, basée sur la primogéniture mâle comme celle de la direction de toute Famille Sawa, est matérialisée par une panoplie d’objets de pouvoir constituant les attributs du Chef et des Initiés.
Quand on sait que les objets de culte massivement arrachés à Sawaland sont autant d’objets de pouvoir, on comprend l’étendue du désastre colonial ! Car les palais ne sont rien sans lesdits objets qui seuls leur confèrent le poids de l’Autorité qu’ils hébergent :
* Ils sont les témoins de la formation et des pouvoirs initiatiques du monarque, première preuve tangible de hiérarchisation et d’organisation sociètale au sein des Chefferies : certains objets ne sont touchables, voire approchables que par certaines catégories de personnes ; dans l’Afrique Traditionnelle, un Chef, un Notable ou un Dignitaire non initié n’est même pas concevable ! chacun en plus détient ou porte les attributs de son rang initiatique.
* Ils sont les garants de la sécurité, du charisme et de la fiabilité du Détenteur, et par ricochet, de la tranquillité, de la fierté et de la force du peuple : un Chef sans assurance ni assise culturelle est un souci constant pour les siens ; sans charisme, il est une honte permanente, inspiratrice potentielle de velléités sacrilèges de coups d’Etat.
Or, avec la disparition des sociétés secrètes, c’est la nuit de l’ignorance qui tombe sur l’Afrique autour de l’Initiation. Du coup, l’Autorité Traditionnelle en général et celle de Sawaland en particulier devient un secteur désormais manipulable par l’Etat postcolonial. D’où cette relégation des chefferies traditionnelles au statut d’Auxiliaires d’Administration. Entre les vrais États précoloniaux et les artificiels États actuels, le pouvoir traditionnel s’est considérablement dégradé. Même dans les régions les moins atteintes par le syndrome colonial, les Chefs et Rois ont perdu beaucoup de leur poids et sont incorporés de force dans les ‘modernes’ rouages du Parti-État en qualité de simples agents facilitateurs d’orientation de choix électoraux, ce qu’il leur reste d’autorité se déployant dans des fonctions mineures tels le règlement de conflits inter-communautaires, la gestion des questions foncières du ressort traditionnel, etc.
FONDEMENT DES CONTRADICTIONS SUCCESSORALES
Dans les cultures théocratiques de l’Histoire Négro Africaine, l’Eyoto’a Dimbambe ou Fondement de la Hiérarchie Ancestrale n’est autre que la Divine Autorité. La Monarchie y est donc de droit divin comme tous les pouvoirs à elle rattachés et les grades et fonctions qui en dérivent.
A Sawaland, le constat est d’autant plus patent que l’Homme, baptisé Soyambe (ou Somsom’a Yambe), s’y définit comme descendant pur-sang de Yambe. D’essence, il est donc Wonja, la plus libre des Créatures, (également dénommée Kum) ; Wonje, son dérivé féminin, étant un titre de noblesse qui désigne la Reine. Le Chef de son côté sera Kumkan (littéralement ‘le plus libre des Hommes Parés’, à la manière de Kan la Perdrix),
et le Roi ou l’Empereur Kumasi (litt. Kum’a Si : ‘Chef d’une Nation/Empire’).
La principauté n’étant pas un concept bantu, le mot « Prince » n’aura donc pas d’équivalent dans nos langues, autre que celui d’Héritier, Mukwandedi, que la loi initiatique d’humilité réduit à ne se présenter que comme un jeune Initié,Mukuku, au même titre que les autres.
Les divers niveaux ou types de Monarchie se rejoignent dans le concept onomastique de Mwanedi dont la sémantique nous apparaît aussitôt chargée d’ambiguïté, car Mwanedi au sens premier est un Lutteur, un Combattant ; autrement dit Mwaneye Mboa Myemba (‘Qui-Mène-Les-Combats-De-Sa-Communauté’). Et c’est au sens second que Mwanedi, passant du Combat au Commandement par la force de quelque rébellion ou d’une usurpation réussie, signifiera Mwaneye Mboa tout court : (‘Qui-Mène-ou-Commande-Sa-Communauté’). Ce qui pourrait peut-être élucider cette propension des Commandants d’Armée ou des plus grosses fortunes d’une Communauté à en désirer aussi le Commandement Suprême, endossant ainsi en même temps les deux manteaux de gloire : celui du pouvoir militaire ou financier d’une part, et la Tunique d’Etat d’autre part. Ladite propension, comme pour se justifier, exploitera d’ailleurs à loisir le célèbre et terrible dicton de la Sagesse Sawa :
Ntu na mapoko, bwala pe na tue (Aux laborieux l’abondance et aux flemmards la misère).
Serait-ce là la racine secrète des coups d’Etat dont sont si friands les régimes politiques africains ?
NAÎT-ON CHEF OU LE DEVIENT-ON ?
La Divine Loi Successorale à Sawaland est celle basée sur le Njo a Ñambe ou Pouvoir Karmique de Ñambe : force qui marche toute seule, couronnant le Juste ou l’Ayant-Droit et confondant le Méchant ou l’Usurpateur. Or le Njo a la couleur rouge du Sang ou Maya [décrypté en Ma de Madiba (Eau) et Ya de Yabe (Naissance)], comme pour rappeler à l’Homme que la Loi du Sang, on ne la viole pas impunément.
En d’autres termes, les coups de force ou les élections sont une violation de la Loi Successorale, et par conséquent, méconnus et répressibles par la Tradition, car on naît Chef à Sawaland. Quiconque le devient est un Usurpateur ou un chanceux favorisé par un accident de parcours génétique. Mais qui donc peut naître Chef ou Roi de droit divin, sinon celui à qui Ñambe en personne a donné de venir au monde en qualité de : Mutud’a Bome o Mutud’a Mabum? (L’Aîné des Garçons [issus] de l’Aîné des Ventres).
Ce que la Famille précoloniale Sawa, essentiellement polygamique, appelle « l’Aîné des Ventres » n’est autre que la couvée de la Première Épouse (première femme entrée par voie conjugale dans l’Eboko ou Cour Familiale). A la différence de quelque Aîné in vitro des temps actuels, qui serait innommable en Duala, tout Aîné issu du Ventre maternel est baptisé poétiquement « Mutudu » ; au décryptage : « Mutube Du » ; littéralement : ‘celui qui creva l’Embouchure vaginale de sa Mère’ après le mariage des parents, et—tenez-vous bien—dans le sens inverse de celui emprunté par son Père pour la défloration nuptiale ! Et voilà peut-être expliquée en passant la classique, tacite et fréquente rivalité entre Père et Fils-Aîné autour de la Mère-Epouse ! Mieux encore, à partir de ladite rivalité, qui est déjà en soi l’expression d’une capacité, d’une volonté ou même d’un destin de succession, la Primogéniture Mâle nous apparaît dès lors comme le fondement d’un Etat de Droit d’Aînesse, racine et solution potentielle et combien naturelle du conflit des générations, même si dans la pratique, l’exception successorale se confond souvent à la règle pour des raisons liées aux paradoxes généalogiques évoqués ci-dessus, et dont la plupart des cas à Sawaland sont surtout observés chez les Duala ; lesquels ont sans aucun doute été culturellement plus vite désarçonnés que leurs cousins ou frères par l’Intrusion Coloniale autant que par ce Choc des Cultures propre à tous les ports du monde, et connaissent ainsi ou reconnaissent même à la fin, par un haussement d’épaules résigné, une certaine réhabilitation de l’exception face à la règle.
C’est souvent, d’ailleurs, que les Duala sont taxés de Bakala (‘Blancs’) par les autres Sawa, par allusion à la trop rapide perte de leurs paramètres culturels, conséquence évidente de la défavorable cohabitation coloniale.
par: VALERE EPEE (EBELE-WEI)