Langue maternelle, propriété privée?

Quelle est l’origine de nos langues
maternelles, d’où viennent elles, comment sont elles nées, pourquoi y en a
–t-il autant?

Sommes-nous propriétaires de nos
langues? Autrement dit, un Yoruba a t-il
le droit de porter plainte contre un Batanga qui gagnerait de l’argent en
chantant en Yoruba sans autorisation? Cette dernière question est valable pour
toues les langues, bien évidemment.

 

Mes amis voici une foule de questions
auxquelles je n’ai pas de réponses qui satisfassent tout le monde, tant les
avis même des plus qualifiés en la matière divergent. Il est tout simplement
question de nous interroger sur certains de nos réflexes, de susciter des
discussions entre nous car en matière de langues, l’Afrique (et singulièrement
le Cameroun) est un véritable sanctuaire de concentration de langues de toute
sorte à nul autre pareil, source d’immenses richesses culturelles, très
certainement, mais aussi, hélas, de véritables plaies facteurs de tribalisme et
de comportements xénophobes où l’humain que nous sommes tous, par réflexe tribal,
érige généralement son appartenance linguistique et tribale au tout premier
plan et à tous les niveaux, ne faisant que très peu cas de ce qui peut être collectif,
du bien commun qui devrait transcender, pour les plus éclairés, le piège de la langue ou de la tribu.

 

La problématique de l’origine des langues est très ancienne et a toujours suscité de
nombreuses questions et diverses hypothèses pour tenter une réponse ou des réponses
comme résolution de l’énigme et du mystère des langues, notamment autour des
travaux d’éminents anthropologues, d’archéologues, de linguistes, de généticiens,
etc.

Les différentes hypothèses de ces scientifiques tournent presque
toutes autour de deux concepts : MONOGENESE OU POLYGENESE ? Autrement
dit, une seule langue à l’origine pour toute l’humanité, ou plusieurs langues
développées ici-et-là dans les différentes régions
terrestres habitées par l’homme?  

Le linguiste Français Claude Hagège
rejette l’idée ou le mythe d’une langue commune unique. Il dit «Contrairement à l’idée courante, il
est très probable que l’immense diversité des idiomes aujourd’hui attestés ne
se ramène pas à une langue originelle unique pour toute l’humanité. S’il y a
unicité, c’est celle de la faculté de langage propre aux hominiens, et non
celle de la langue elle-même.»
selon donc
Hagège, il y aurait à l’origine une seule espèce dite «Monogénétisme de la lignée», mais pas un seul idiome, plutôt « Polygénisme des langues.»

L’Américain Merrit Ruhlen avance
quant à lui la thèse d’une protolangue
mère originelle et commune à toutes les «Superfamilles»,
qui aurait vécu vers 50.000ans avant notre ère. Selon cet Américain,
toutes les langues pourraient avoir une source unique, mais nous n’en savons
strictement rien…et l’origine des langues reste toujours une énigme pour la
science.

Pour La religion, notamment l’ancien testament, aucun doute possible, l’origine des
langues humaines est Divine: Genèse11v1 : «Or toute la
terre parlait un même langage avec les mêmes mots».
  Verset 6:«Voilà
un seul peuple, ils parlent tous un même langage…»
  «Allons,
descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus le
langage les uns des autres
 »   « L’Eternel les dissémina loin de là sur
toute la surface de la terre…»
 

Voilà donc, selon la bible,
relayée par les créationnistes,
l’origine des plus de 6000 langues
des peuples du monde, qui ont cessé d’être un seul peuple et sont devenus une
multitude de peuples suite à la colère de Dieu contre un projet humain qui
consistait à construire une tour, la
tour de Babel, dont le but était de
toucher le ciel. 

 

Les évolutionnistes, ceux qui croient que l’homme est le résultat d’un processus  ayant nécessité plusieurs étapes d’évolution
qui iraient des batraciens aux poissons, jusqu’aux singes, en passant par tous
les stades intermédiaires pour arriver jusqu’à l’homme, de même que ceux qui
croient en un immense « Big-Bang»
ayant favorisé la vie humaine sur terre, ne donnent aucune explication
« crédible » sur les langues des hommes.

Notre grand savant Sénégalais Cheik
Anta Diop pense, quant à lui, que c’est la même espèce humaine, sortie d’Afrique, qui a «colonisé» l’Europe
et l’Asie, et que c’est par nécessité d’adaptation aux différents climats et à
l’environnement que les couleurs de la peau et la morphologie sont si
différentes entre l’Africain, l’Européen et l’Asiatique; mais là non plus, nous
n’avons pas plus d’explication sur les différents langages, surtout les
différentes langues tout court, et nous ne voyons pas non plus de réelle similitude
linguistique qui tendrait à faire croire que les uns seraient la continuité des
autres sur un autre continent que l’Afrique.

 

Que dire du Cameroun, avec ses deux cent cinquante langues au moins?

Quand on parle globalement de peuples
Bantou pour les ethnies du sud, par exemple, nous constatons que même au sein
d’une même ethnie il existe une foule de variétés linguistiques, parfois
accentuées à l’extrême par le contact de groupes voisins, ajoutant d’autant
plus de confusion, comme si les barrières préexistantes n’étaient déjà pas
suffisantes. 

A qui appartient la langue Duala que
je parle, par exemple? Mon ethnie est-elle propriétaire de «sa langue» dans le
sens juridique? Devons-nous considérer «notre langue» comme une propriété privée au point d’empêcher
celui qui n’en est pas de la parler ou d’en tirer un profit financier par la
musique par exemple ?  Qui pourrait
enfermer Un Bassa uniquement dans sa langue, l’empêchant de s’exprimer dans
toute autre langue que celle de son terroir?

Le Grand Manu Dibango a gagné son procès contre Mickael Jackson qui avait repris sans autorisation un refrain du
célèbre « Soul Makossa »
dans les années 80 ; tout comme André
Marie Talla
avec son «hot koki»,
repris également en partie et sans autorisation par James Brown dans les années 70. 
Si donc l’œuvre artistique,
littéraire, philosophique
, etc., assure à son auteur une protection
juridique dont la violation donne droit à des dommages et intérêts, ce qu’on
appelle par ailleurs les «droits
d’auteurs
», que dire de la langue que nous parlons? Qui en est l’auteur, à
qui doit revenir les droits d’auteurs si on fait du commerce dans une langue
qui n’est pas «la sienne» à la base? Nombre de nos écrivains, chanteurs, poètes
Camerounais, se sont distingués dans leur production en langue Française sans que le Français réclame sa part dans le
profit généré.  Qui irait jusqu’à dire: Le
Douala aux Douala, l’Ewondo aux Ewondo, le Haoussa aux Haoussa…sous peine de
poursuites judiciaires si on n’en a pas l’autorisation? Ce serait naturellement
une folie, une absurdité.

Car je pense vraiment que le mystère
des langues devrait nous rappeler que nous sommes juste des locuteurs de telle
ou telle langue, pas ses propriétaires, et que de ce fait, il serait réducteur
de nous identifier par rapport à celle-ci comme étant simplement Bassa, Douala, Bami, Eton, Français, Chinois, Yoruba,
Anglais ou esquimaux, car nous ne sommes pas nos langues, nous sommes plus que
ça, même s’il y a des traits de caractère qui parfois nous distinguent les uns
des autres, non pas spécialement à cause de la langue seulement, mais peut-être
plus par rapport à notre histoire qui tient compte du terroir, de
l’environnement, des conditions de vie dans ce
terroir et cet environnement car en vérité, qui
de nous a choisi d’être né au sein de tel ou tel groupe? Et pourquoi
s’enorgueillir d’une origine dont on n’est pas l’auteur, d’une langue dont on
ne sait même pas d’où elle vient et comment elle est née?

Je crois cependant que, tout en
n’étant pas «propriétaire» de ma langue maternelle, je peux néanmoins me donner
le «devoir» de la protéger, de la défendre et de la transmettre à mon tour,
comme je l’ai moi-même reçue des miens. Et il n’est pas criminel d’éprouver un
réel plaisir à communiquer, à partager, à échanger avec des «frères», locuteurs
comme moi de la langue de notre terroir qui a contribué à nous donner en
héritage des bases culturelles et identitaires solides qui ne génèrent aucun
complexe face à aucune autre langue. Mais de la même façon, il serait
véritablement dommage de ne pas profiter de toute la richesse linguistique et culturelle
mise à ma disposition, tout autour de moi, gratuitement, sans devoir en demander
l’autorisation à qui que ce soit.  Mais
l’Africain, bien plus que n’importe quel autre individu, parait si fermé, voire
allergique à son plus proche environnement linguistique, et nous rechignons
parfois à dire que nous comprenons ou parlons la langue du voisin, par fierté
pour la notre, la seule qui doit être sublimée. Ce genre de préjugé fait sans
doute de nous des hommes culturellement incomplets ; et le repli
identitaire lié à la langue, et donc à la tribu ou à la race, a forcément des
aspects négatifs qui véhiculent des maux néfastes comme le tribalisme, le
racisme, le fascisme car, encore une fois, la langue a été faite pour l’homme,
mais l’homme n’a pas été fait pour telle ou telle langue, celle-ci n’est qu’un
moyen de communication pour ceux de mon environnement et de ma famille, mais
mon univers quant à lui est infiniment infini et m’ouvre en principe un espace de communication et de connaissance
que ma langue seule ne suffirait pas à m’apporter. Que de préjugés, de guerres,
de tribalisme éviterions-nous, si on avait bien conscience que, en vérité, ce n’est pas la langue que nous parlons qui fait de
nous des HOMMES plus valeureux ou plus médiocres que les autres, mais plutôt
cette capacité à voir dans l’autre son semblable, sa langue comme sa culture n’étant
que des obstacles de façade qui, non seulement ne sont pas infranchissables,
mais en plus, ne peuvent en rien nous empêcher de considérer d’abord l’humain, pas
sa putain de langue qui ne lui appartient pas, la mienne ne m’appartenant pas
non plus, et que ce que nous avons en commun, lui comme
moi, est largement supérieur à la langue, à la tribu et à la couleur de la
peau, c’est cette conscience propre à tous les hommes, ce moi intérieur, cette âme immortelle qui n’a ni langue, ni couleur, ni
religion.  

 

Si donc les
langues constituent à priori un obstacle vis-à-vis de celui qui ne parle pas la
même langue que toi et apparaissent bien souvent comme un gros facteur de
division entre individus d’un même pays, particulièrement chez nous, elles
peuvent également contribuer à révéler les véritables capacités
transcendantales enfouies en chacun de nous, en nous permettant de nous élever
spirituellement et humainement et de domestiquer le mur de la langue comme une
épreuve divine qui ferait de nous des hommes meilleurs. Car toutes les langues
ont en elles quelque chose de divin et devraient être considérées comme patrimoine mondial de l’humanité et don de Dieu, véritable propriétaire de «nos» langues mais également
auteur de la vie. Et chacun de nous peut alors nommer cet auteur dans  «sa» propre langue ou croyance:
Loba ou Nyambé, NZambé ou Zamba, Job ou hilolombi, Dieu ou God, Jah ou Allah, Yahwé, Jéhovah ou Adonaï, etc.

 

                    

Emmanuel Elimbi

 



25/12/2011
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